Comme j’allais au supermarché, ma voisine m’a demandé de lui rapporter du café en capsule Omfalos, que je ne connais pas, mais n’est-ce pas, ça devrait aller, je me suis dit que ça ne sera pas bien compliqué, je ne suis pas une lumière mais acheter du café, je le peux, je fais mes courses, je remplis mon caddy, truite, poule, cochon, et trop fier de rendre service à ma voisine, qui est fort ceci, et surtout cela, mais qui ne me, alors ça jamais, jamais pas une fois, aussi je me suis dit, résultat me voilà devant l’étalage, capsules Omfalos de haut en pas, mur de café Omfalos, café brésilen, café congolais, café parisien, café montréalais, café alaskien, j’hésite, m’avait-elle spécifié lequel, sans doute, vu la quantité, je m’imaginais qu’il n’y avait qu’un seul café Omfalos, je tâtonne sur les rayons et dans ma mémoire, le risque est grand, je l’appellerais mais elle a toujours refusé de me confier son numéro, et j’aurais l’air de quoi, allo je ne me souviens pas de, non pas question, j’irai au hasard, fermer les yeux, tendre les bras, tirer à moi l’heureux élu, voilà, je ferme les yeux, un tour sur moi-même, au diable les clients qui me dévisagent, ne connaissent pas l’enjeu, n’ont jamais vu connu ma voisine, je tend le bras, ma main glisse entre deux paquets, je pousse un peu plus, ne pas tergiverser, foncer droit devant, enfin je touche au but, un paquet bien dur, je le saisis, je le tire, pourquoi cette résistance, je tire et soudain c’est moi que l’on tire en avant, qu’est-ce que c’est, j’ouvre les yeux, j’ai la main sur une sorte de manette et l’étalage de café Omfalos s’est scindé en deux, verticalement, et me voilà aspiré en avant, je veux me retenir de ma main libre à mon caddy, mais il chute sur le côté, aucune aide à espérer de ce côté, je glisse littéralement sur une pente légère mais huileuse, impossible de freiner ma chute, je tombe sur le derrière et je file comme sur un toboggan, je me dirige tout droit vers une drôle de sorte d’organe, j’écarquille les yeux, comment y croire, c’est un nombril géant qui palpite et sur lequel je suis projeté, collé, pendant que derrière moi c’est la nuit, l’étalage d’Omfalos s’est refermé, je suis bien seul, prisonnier, mastiqué, car je crois que c’est ce qui m’arrive, le nombril me mastique, je sens les mouvements sur tout mon corps, et comme un insecte pris dans une sarracénie je me sens lentement absorbé par la créature nombrilique, et cela dure, dure des heures, ma voisine s’impatientera, elle ne me pardonnera pas, jamais, on me déguste patiemment, je m’étonne de respirer encore, comment viendra-t-elle, la mort, faudra bien finir par en finir, tout le jour passe, je le devine, je m’endors et m’éveille, et m’endors et m’éveille à nouveau, je suis peut-être là depuis hier, ou avant-hier, à part le petit doigt du pied gauche, je suis totalement avalé, et je respire, je vis encore, mon coeur bat, j’ai faim, je m’endors à nouveau, épuisé, et cette fois c’est un choc qui me réveille, je viens de tomber de tout mon long sur une surface dure, tout est noir, où suis-je, est-ce un intestin, je peux remuer mes membre, je peux bouger, je me lève et j’avance à tâtons, tout est mou ici, parois molles, élastiques et chaudes, une sorte de long corridor semble s’ouvrir, je le suis, prudemment, les coudes se multiplient, j’avance peut-être à ma perte, mais ai-je le choix, j’entend un bruit sourd, j’ai beau tendre l’oreille mais je ne distingue rien, je ralentis le pas, devant moi je crois apercevoir une lueur, un autre coude, puis un autre, les parois éclairées sont rouges, le bruit se précise, on dirait des voix, un brouhaha de voix, je me rapproche encore davantage, malgré le dégout je me colle à la paroi, j’étire le cou, ce sont des voix, ce sont des gens, une cacophonie, ils parlent tous en même temps, à pas de loups j’avance la tête jusqu’à l’extrémité du tunnel, je ne comprends pas, c’est une grande pièce, une immense pièce éclairée par une lumière artificielle qui sort je ne sais d’où, je ne vois ni lampe ni fenêtre, il doit y avoir là-dedans une centaine de personnes, peut-être plus, je saute parmi eux, j’ai l’impression d’apercevoir, au fond, une porte qui donne sur une autre pièce semblable, tous ces hommes, toutes ces femmes, confortablement assis dans des fauteuils inclinables rembourrés, ils parlent tous, ils sourient, je me faufile entre eux, j’ai cru remarquer un fauteuil libre, je dois l’atteindre, je suis épuisé, je m’excuse, j’évite les pieds, les mains qui s’agitent au rythme des paroles, et je l’atteint enfin, je m’y abandonne, enfin un peu de repos, ils m’indiqueront certainement la porte à prendre pour revenir au supermarché, je dois terminer mes courses, rapporter son café à ma voisine, mais j’ai beau questionner à droite, devant, derrière, à gauche, personne ne me répond, malgré les sourires, ces gens parlent sans arrêt, ce sont des je je je, des moi moi moi, des mon mon mon qui ne répondent à rien, qui n’attendent aucune réponse, ils m’étourdissent, comment fuir, comment retrouver l’air pur, je perdrai la tête, je ne survivrai pas ici, je demanderai mon chemin à chacun d’eux, individuellement, je finirai bien par trouver une réponse, même si je dois y consacrer une semaine, un an, une vie!
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