En avant vers le cap Horn!

Quand elle m’a vu, elle m’a demandé ce que je faisais là. Comme j’étais sonné, je n’ai d’abord rien répondu. J’étais enroué, comme un gros crachat pris au fond de la gorge. Puis elle a remarqué que j’étais laid. Oh, ça va, que je lui ai alors répondu, n’exagérons rien, visiblement tu ne t’es pas regardée, visage livide, grimaçant, tu ne payes pas de mine, je t’assure. Elle s’est détournée, et comme je n’aime pas trop les embêtements, j’ai fourré tout ce que je possède, à peu près rien, dans un baluchon, et je suis parti. Je n’avais pas l’intention de revenir, et je m’éloignais davantage à mesure que les années passaient, j’atteignais, comme on dit, une certaine limite: le vaste océan. D’accord, j’aurais pu le traverser, et j’y ai pensé, et j’y pense encore, mais là, du haut de la falaise, j’ai senti un brin de fatigue dans les membres, et comme l’âge avançait, je me suis cru permis de faire une pause. Sauf que ça s’est éternisé, et du fond des âges j’ai reçu une requête inquiétante, une requête dont je me serais volontiers passé. Elle m’écrivait, me réclamait, ou plutôt, réclamait un morceau de la fortune qu’elle m’imaginait avoir accumulée. J’ai chiffonné sa lettre, je l’ai lancée dans l’écume qui m’arrosait le visage, et le lendemain, à l’aube, sans m’entortiller dans les adieux, j’ai sauté sur le premier cargo, et me voilà qui navigue vers le cap Horn, pour se rendre je ne sais plus où.

Laisser un commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s