Je n’ai jamais rêvé de boucherie. Quand j’étais petit, je me voyais clown dans un cirque. Bastonnades, pirouettes, par moi aurait fusé le rire, la joie. Parce que par chez nous, la vie n’est pas rose.
Je n’ai jamais vu de cirques qu’à la télé. Alors, par paresse et nécessité, j’ai marché dans les pas de mon père. Boucher. Ça fait maintenant trente-quatre ans, deux mois, une semaine. J’ai fini par m’y faire.
Je n’ai jamais pu faire rire qui que ce soit. Un boucher, ce n’est pas drôle. On ne badine pas avec la chair, la chair fraîche. C’est du sérieux. Alors ça finit par vous former un caractère. Un caractère que vous n’auriez pas soupçonné.
Je n’ai jamais connu l’amour. Chaque fois que je rencontrais une femme, à la seconde où je lui révélais que j’étais boucher, elle s’enfuyait. Parfois en hurlant, comme si j’allais la découper sur le champ.
Je n’ai jamais de compte à rendre à personne, lorsque je rentre chez moi. J’y suis seul depuis si longtemps, que j’en suis venu à m’accorder toutes les licences possibles. Par exemple, il m’arrive de chanter toute la nuit, vêtu d’un sombrero. Il m’arrive aussi de me peindre un grand sourire sur le visage, et de faire des cabrioles dans le salon.