Les lave-linge 

Je vivais avec une femme depuis tant d’années que j’avais oublié de me méfier. Même aujourd’hui, j’ai du mal.

Quand le lave-linge s’est brisé, je l’ai réparé. Ça ne nous a rien coûté, elle était heureuse, j’étais heureux. C’est donc devenu une habitude. Je me suis mis à tout réparer, si bien que nos maigres dollars ne s’égaraient pas dans ces banalités.

J’ai tant réparé de trucs, électriques, électroniques, informatiques, mécaniques, dramatiques, que j’ai quitté mon boulot pour me consacrer à la réparation. Les gens ont toujours quelque chose qui cloche, et ils aiment les solutions rapides, définitives. À votre service, mesdames, messieurs. C’est cher, mais garanti. Holistique.

Cela va de soi, à force de réparer, j’ai appris les secrets des choses et des gens. Pour me détendre, parfois le soir, j’inventais toutes sortes de bidules inutiles, une machine à compter les feuilles sur les arbres, un gel qui rend les cheveux musicaux dans le vent, un capteur pour repérer les trèfles à quatre feuilles. La femme avec je vivais depuis tant d’années répétait qu’elle admirait mon travail, elle proposait même de vendre mes bidules sur internet. Il y a des gens prêts à acheter n’importe quoi, m’assurait-elle, pour se donner l’impression d’exister.

J’étais plutôt du genre discret. Je n’aime pas m’exposer devant les groupes, en vrai ou sur internet. Tant que nous étions ensemble, je n’avais besoin de rien.

Un jour, elle m’a proposé de lui fabriquer un bidule qui ressemblerait à un mec, mais en mieux. Ça m’a fait rire. Je lui ai proposé de s’acheter un robot, il y en a de très bien, aujourd’hui, si on y met le prix.

Elle a insisté, alors pourquoi pas. J’y ai passé une année, une longue année de loisirs dans l’atelier, à lui concevoir son mec. Elle a tout de suite été satisfaite du résultat, et elle s’est mise à le traîner partout. On le prenait, la plupart du temps, pour un homme, un vrai. Il parlait, souriait et tout, mais il était un peu froid.

Elle a insisté, et j’ai réglé le problème. Thermostat, radiants en fils, son mec changeait de température à volonté.

Puis j’ai dû ajuster le ton de sa voix, la force de ses bras, la dextérité de ses mains, et j’ai modifié trois fois la couleur des cheveux et autres poils.

À la fin, c’était parfait, mais alors là, vraiment parfait. J’en avais fait du chemin depuis la réparation du lave-linge.

La femme avec qui je vivais depuis tant d’années, elle l’a trouvé parfait, elle aussi. Tellement parfait, qu’elle le gardait toujours près d’elle, même la nuit. J’ai fini par dormir dans la chambre d’amis, et quand je suis parti, elle ne s’en est rendu compte que trois mois, deux semaines et quatre jours plus tard.

Par hasard.

Elle était au parc avec son mec, ils nourrissaient les pigeons. Je passais par là à bicyclette, ce qui a fait s’envoler les pigeons. Elle m’a apostrophé, le mec en a rajouté. Puis elle m’a reconnu. Elle m’a demandé si je pouvais modifier légèrement la forme des fesses du mec. J’ai ri et j’ai filé sur ma bicyclette.

Mais le mec m’a vite rattrapé, et il m’a foutu une raclée. Après cet incident, je n’ai jamais plus entendu parler d’elle. J’ai quitté la ville, le pays, et je répare des lave-linge à Montréal, depuis de nombreuses années maintenant.

Traitement en cours…
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