J’ai le feu au cul. Pardonnez ma vulgarité, ça chauffe, et je crains de finir rôti.
Le vent pousse le feu dans notre direction, et ce pick-up devant qui n’avance pas! Soixante-dix kilomètres à l’heure sur une route droite, en parfaite condition, avec un incendie qui menace de nous griller les uns après les autres. Impossible de doubler, la voie de gauche est encombrée de débris et de véhicules d’urgence.
Je ne vois pas très loin dans mon rétroviseur, à cause de la fumée, mais à la radio on dit que des voitures brûlent sur la route B-640, à quarante kilomètres à peine derrière moi. J’étais là il y a trente-cinq minutes! Il y aurait des victimes, mais on ignore combien. La zone est maintenant inaccessible, l’incendie trop violent, les services de secours ont dû rebrousser chemin.
Je vois des flammes au loin, dans mon rétroviseur. À notre droite, elles dégringolent à une vitesse folle le flanc de la montagne. Ce taré qui n’accélère pas!
J’ai beau klaxonner, lui faire de grands gestes de la main. Il ne bronche pas. Si nous n’accélérons pas, le feu atteindra la route avant que nous ne soyons sortis de cet enfer!
Je vais l’écraser, ce klaxon, jusqu’à ce qu’il réagisse!
Que fait-il? Il sort son bras. Mais que m’indique-t-il? Le panneau de limite de vitesse! Maximum 70. La cloche!
Macaque apprivoisé! Il y a le feu! Urgence! Personne ne va te coller une contravention pour dépasser la limite, intégriste!
Si au moins je ne conduisais pas cette Honda. Trop basse pour pousser dans le derrière de son gigantesque Dodge Ram!
Derrière et à ma droite, je les vois de plus en plus clairement qui pointent leurs flèches dans les tourbillons de fumée, les flammes! Elles approchent, elles gagnent du terrain. Si au moins ce vent pouvait tomber!
Je ne veux pas crever à cause d’un vieux soumis qui se fait un point d’honneur de se courber devant toutes les lois, même les plus sottes! Respecter la limite de vitesse quand il faut sauver sa peau!
Derrière moi, ça klaxonne, et je klaxonne, nous finirons bien par le faire craquer. Personne n’est idiot à ce point.
Tiens, il y en a un qui prend le risque. Je vois dans mon rétroviseur une Jeep qui tente de dépasser par la droite, sur l’accotement. Mais c’est bien trop étroit, ça ne passera pas. Il va… Oh! Il bascule dans le fossé! C’est bien fini la course pour lui. J’espère qu’il n’a rien, et surtout, que quelqu’un s’arrêtera pour lui prêter secours.
C’est la folie. La mort nous souffle dans le cou.
Une explosion. Moins d’un kilomètre derrière, une voiture qui vole au-dessus des autres. Elle retombe sur une vieille Mustang. Quelle horreur! Le feu est sur nous.
J’accélère, je fonce sur le Ram. Bang. Oh la la! J’ai failli perdre le contrôle. Il n’a pas bougé. Il a légèrement ralenti.
Si au moins il y avait une route transversale, mais je connais le coin, c’est un long fil sur encore vingt kilomètres.
Appeler Martha, les enfants. Peut-être les derniers mots. Simplement dire que je les aime. Allo?
Quelle est cette merde! Impossible d’obtenir la communication. Lignes surchargées, ils l’ont dit à la radio.
Pas de panique. Ressaisissons-nous. Je ne grillerai pas. Il va finir par accélérer.
Pourquoi les flics ne s’en mêlent pas? Pourquoi ne nous débarrassent-ils pas de ces obtus dangereux qui nous tueront tous!
Derrière, les voitures explosent les unes après les autres. Les flammes dansent autour de nous. Un mur rougeoyant grimace à ma droite. Des volées de flammèches tombent sur les voitures, courent sur la route.
Le Ram ralentit. J’ai failli l’emboutir. Nous approchons d’un village. Soixante kilomètres à l’heure.
Une énorme branche enflammée se brise dans la boîte du Ram. Il n’accélère pas. Il ne freine pas.
La voiture qui me suivait n’est plus là. Je n’ai pas entendu la déflagration. Noyée dans cette apocalypse.
Nous n’atteindrons pas le village. Nous ne l’atteindrons pas. Cinquante kilomètres à l’heure. Je ne vois plus rien. Je n’arrive plus à respirer.
Quand ma voiture explosera, je serai déjà mort.