Douce image et verts sommets (1)

Florence a été tuée par son fiancé, étudiant en médecine, fils de B., chirurgien, et de G., procureure. Ça s’est passé très vite, un éclair de rage. La police n’y a jamais cru, toutefois, ou a refusé d’y croire, ou a été incitée à ne pas y croire. Ils avaient sous la main un autre suspect, qui faisait un coupable plus commode. Fils de C., travailleur d’usine, et de P., caissière dans un supermarché, il était sur place quand l’électricité a été coupée et que l’appartement s’est soudain retrouvé dans l’obscurité la plus complète.

Es-tu certain que ce fils de C. et P. soit innocent? N’avait-il pas du sang sur les mains. Beaucoup de son sang à elle?

Dès qu’il a réalisé ce qu’il avait fait, l’étudiant l’a poussé sur elle, il a même pu attendre que la lumière soit revenue. Les deux hommes se sont probablement battus, d’où la blessure qu’a reçu l’étudiant, et l’accusation, en plus de meurtre prémédité, de tentative de meurtre. C’est un innocent qui est en prison.

La lame du godendard a égratigné l’arbre, pas suffisamment pour le menacer, encore moins pour le tuer, juste assez pour y laisser un souvenir d’une saison, comme ces initiales entrelacées qu’encadrent des coeurs approximatifs gravés par les amoureux, sauf qu’à cet endroit précis, peu de promeneurs n’auraient remarqué la balafre, vu la position de l’arbre à quelques mètres du faîte de la montagne, sur le flanc escarpé face au nord où nous avions grimpé à grand peine, où nous n’avions trouvé nul sentier de chevreuils, d’orignaux, d’humains. La marque oblique était ridiculement ténue quand on considère l’arme qui l’a infligée, cet énorme godendard qui m’était apparu si menaçant, cet outil antique qui refusait maintenant d’obéir, de se soumettre à la folie que sa découverte dans l’atelier de mon oncle avait plantée dans ma cervelle ardente, ignorante et farouche. Je n’arrivais pas à trouver mon aplomb, tout le corps tiré vers le gouffre, mes pieds glissant sur les cailloux, incapable de trouver une saillie suffisamment solide pour y prendre appui, de sorte que pour exercer une force vers l’arbre, vers le haut, il me fallait doubler l’effort qu’une manoeuvre semblable aurait nécessité en terrain plat. Nous glissions, nous remontions, le godendard à bout de bras, et après plusieurs essais, mon cousin S. a suggéré de choisir un autre arbre ou de carrément revenir au camp, ce que bien entendu j’ai refusé, haussant le ton, gesticulant, jusqu’à ce que, de guerre lasse et sans croire au succès de nos efforts, il finisse par consentir à reprendre cette absurde gymnastique, glisser, remonter, glisser et remonter à nouveau, sous un soleil de plomb, baignés dans un nuage de mouches noires dont l’assaut, qui pourtant durait depuis notre arrivée, nous agaçait soudain mais il était trop tard, elles nous mordaient en bataillons, se faufilaient sous nos vêtements, s’empêtraient dans nos cheveux et se collaient à la peau des tempes et du dos en sueur. J’avais soif, S. avait soif, et je savais que nous ne pourrions lutter ainsi, vainement, toute la journée, notre oncle reviendrait bientôt, nous devions réussir dans la prochaine heure ou tout remettre à un autre jour ou à jamais. Même s’il en avait plus qu’assez, S. s’est ingénié, sans doute pour en finir au plus vite, pour se libérer, comprenant que je ne céderais pas, à dégager d’énormes pierres de chaque côté de l’arbre afin que nous puissions bénéficier d’un minimum de stabilité, question de mieux contrôler les mouvements du godendard. Ce fut effectivement beaucoup mieux, les dents affutées s’enfonçaient enfin dans l’écorce, d’abord avec beaucoup d’efforts, mais après quelques minutes, comme par magie, la scie a atteint le bois avec une facilité déconcertante qui m’a fait crier de joie, car j’avais commencé à secrètement croire la tâche impossible, à cause de la pente abrupte et compte tenu de l’âge de l’arbre et du nôtre. Malgré mes paroles d’encouragement et mon attitude, ma détermination affichée, le doute avait commencé à contaminer mon sang endiablé, le risque que cette aventure ne se solde par un échec et qu’il faille déclarer forfait me tenaillait et même, m’angoissait, car je ne me voyais pas comme j’étais, petit garçon face à un arbre gigantesque, mais jeune homme incapable de surmonter une épreuve, exactement comme cette fois, quelques années plus tard, où il y avait cette jeune fille en face de moi qui me souriait de toutes ses dents et davantage, sans que je ne parvienne à lui souffler plus de trois mots, écarlate et suffocant, si bien qu’elle avait fini par hausser les épaules et partir en riant avec ses amies, et ça n’a été guère mieux avec Florence.

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